Chocolatine ou pain au chocolat : le duel chauvin

Depuis que je suis arrivée à Paris pour étudier en septembre dernier, je me suis faite remarquée de nombreuses fois pas mon accent toulousain très prononcé pour les oreilles parisiennes. Mais au delà des sonorités différentes, ce sont aussi les expressions qui perturbent les dialogues, parfois jusqu’à l’incompréhension. S’il y a des habitudes tenaces, quand l’appartenance à une région que l’on aime passe par un lexique particulier alors les esprits s’échauffent. C’est la le nœud du problème avec la chocolatine. Si certains sont las ou ne se sentent pas concernés par le débat, pour un peu que l’on attaque les habitudes et que l’on dise « chez moi c’est mieux », les égos s’effritent. Je ne vais pas vous mentir, pour moi c’est chocolatine forever et je n’ai jamais appelé cette viennoiserie autrement. Mais pour comprendre pourquoi le fait d’évoquer ce mot à Paris a pu en choquer ou en agacer plus d’un, j’ai fais ma petite enquête sur ce duel éternel.

Un peu d’histoire


Bon, je suppose que je vais m’attirer les foudres des « pain au chocolat » lovers et qu’on va m’accuser de subjectivité malsaine, mais il me faut rétablir la vérité. La chocolatine serait en réalité le premier terme utilisé pour désigner la viennoiserie préférée des français, chronologiquement parlant. Au XIXe siècle, lorsque les premières boulangeries viennoises s’installent en France, une pâtisserie, aussi appelée « viennoiserie » est vendue sous le nom allemand « Schokoladencroissant », en français « croissant au chocolat », qui avait d’ailleurs la forme d’un croissant avec du chocolat à l’intérieur. Le « pain au chocolat », traduit en allemand par « Schokoladebrot » désignait une autre pâtisserie dans ces boulangeries et s’apparentait davantage à un cake au chocolat. Peu à peu, la viennoiserie au chocolat aurait perdue sa forme de croissant, et les français auraient traduit et dérivés le nom allemand en « Chocolatine ». L’appellation pain au chocolat serait apparue lorsqu’un siècle plus tard, les viennoiseries ont été reprises par les pâtissiers français, en référence au morceau chocolat que l’on glissait dans du pain à la façon des écoliers selon Nicolas Berger. La chocolatine aurait été conservée uniquement dans le sud ouest en raison de sa consonance qui avait des ressemblances avec l’occitan, le patois local.
Bref tout ça pour dire que théoriquement, la chocolatine a préexisté au pain au chocolat et qu’en raison de sa pâte différente de celle de la pâte à pain, le nom semble plus approprié. Mais majoritairement on le sait bien, c’est le nom « pain au chocolat » qui s’est imposé sur une grande partie du territoire.

En pratique



Sans se mentir, outre les habitudes de chacun, aujourd’hui tout le monde se comprend quand il parle de pain au chocolat ou de chocolatine. Alors certains vous regarderons de travers si vous dites « chocolatine » dans le nord, et il en va de même si vous demandez un « pain au chocolat » en plein sud ouest. Mais parfois ce regard est juste l’expression d’une surprise face à une nouveauté de langage et d’habitude. On sait aussi (et c’est un argument largement développé par les pro « pain au chocolat ») que la grande distribution a opté pour l’appellation « pain au chocolat » sur ses paquets industriels. Notons que le goût n’est pas au rendez-vous et le produit désigné ainsi n’a pas du tout la saveur de cette viennoiserie que j’affectionne tant. L’habitude prévaut dans ce genre de cas, mais il faut savoir que pour les étrangers, ce n’est pas facile de s’y retrouver : deux noms aussi différents pour un seul et même produit, cela peut être déstabilisant.




Une histoire de revendication identitaire


Mais ne nous cachons pas derrière des explications douteuses ou des raisons foireuses, le duel pain au chocolat/chocolatine c’est surtout une histoire de revendication géographique et identitaire.


Aujourd’hui j’ai perdu un peu mon accent et je m’habitue à ne plus accentuer les « aiiiin » et à faire des « o » bien ronds et sourds. Mais certaines expressions persistent dans mon langage et j’en ai acquises de nouvelles. Même si pour moi la chocolatine et immuable, je me prends à demander un « pain au chocolat » à ma boulangère le dimanche. Mais je vous aime tous, qui que vous soyez, partisans du pain au chocolat ou de la chocolatine. C’est l’adaptation que voulez vous, j’adore Paris, mais je sais que Toulouse restera toujours ma ville de cœur. Sans rancune et vive le chauvinisme !



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