Phobie du rire

Je ne peux m’empêcher de m’insurger aujourd’hui contre cette dictature de la bien pensance qui fait rage dans notre société « paritaire et égalitaire ». Moi aussi comme 1,55 millions d’autres spectateurs j’ai regardé l’émission de rentrée de Quotidien le lundi 4 septembre sur TMC. La rubrique « Le petit Q » revenait avec humour sur l’affaire Usher de l’été. Un récap était fait montage à l’appui du scandale autour du chanteur qui est porteur de l’herpes, une IST contagieuse, qui aurait eu des rapports sexuels avec des victimes sans les informer au préalable. Puis un focus était fait sur une américaine obèse qui faisait une conférence de presse pour dire que malgré le fait qu’elle soit négative à l’herpès elle portait plainte contre lui pour préjudice moral. Nous sommes tous (ou presque) d’accord pour dire que cette plainte est abusée et que la jeune femme ne cherche qu’à gagner beaucoup d’argent dans cette affaire.



Sur ce, Jamel Debbouze, invité spécial de la soirée Quotidien à ricané et ironisé en invectivant la plaignante de menteuse et en prétendant ironiquement que lui aussi avait eu un rapport avec Usher et attendait un virement de préférence. Ni une, ni deux, les internautes se sont offusqués de ce « dérapage » de l’humoriste, de sa « grossophobie » inadmissible. Certes, ses propos n’étaient pas très fins, mais que fait on de notre liberté de rire et de nous moquer ? Où est la liberté d’expression ? Où sont les propos diffamants qui justifieraient une telle polémique ? Nulle part.



Et c’est d’ailleurs ce qui m’agace et me préoccupe de plus en plus. J’ai le sentiment que sous couvert de respect, d’égalité, de progression des droits, etc, nous n’avons plus le droit de rire de tout et de rien. Impossible de prendre pour cible de l’humour des personnes pratiquant une certaine religion, qui ont des caractéristiques physiques ou ethniques particulières, pour leurs mœurs sexuelles, pour leur apparence physique, pour leur âge, pour leur genre, pour leur handicap … Et j’en passe ! La bien pensance nous a envahi à un point qu’il est difficile de rire sans se faire regarder de travers, ou de manger de la viande sans recevoir une leçon de morale. Que chacun s’occupe de soi et les vaches seront bien gardées. Je pense qu’il serait utile de redéfinir les limites. Pour moi, l’atteinte à la dignité et l’incitation à la haine ou la discrimination envers un groupe de personne sont les véritables limites de l’humour.
Pour moi, les militants ont toute leur place, mais quand le rire n’est plus permis, il s’agit d’une forme d’extrémisme en soi. Ne plus tolérer une blague sur une femme parce qu’on est féministe, ne fera pas avancer les mentalités ni la façon dont les femmes sont considérées en société. La femme devrait aussi être capable de rire quand il s’agit d’une plaisanterie drôle. Les choses vont trop loin à mon goût. Je trouve très bien que les propos diffamants soient repris et punis, mais le procès d’intention à tout bout de champ me fatigue et nous musèle de plus en plus. Nous pouvons en dire de moins en moins de peur de ne pas être « politiquement correct ».

En outre, certains type d’émissions ou de représentations publiques sont à mon goût beaucoup plus désobligeantes (pour la femme par exemple). Les Anges de la téléréalité, ou ce genre de téléréalité, anéanti toute pudeur et pousse le voyeurisme à son paroxysme, dégradant beaucoup plus l’image de la femme à mon sens. Pourtant les critiques de ce genre ne pleuvent pas autant. Certes les personnes qui y participent choisissent de s’exposer mais il s’agit tout de même d’une dégradation du genre féminin. Ne confondons pas nos combats ni les injustices. Cette femme de la conférence de presse américaine a, elle aussi, choisi de s’exposer, les propos et les images n’ont pas été pris à son insu. Elle est donc consentante à se faire critiquée ou moquer publiquement. Certaines atteintes beaucoup plus graves faites à des stars tous les jours ne sont pas autant commentées.

Les réseaux sociaux ont rendu la parole du « vulgum pecus » bien plus audible et surtout accentuée par l’effet de masse et l’instantanéité. La polémique est devenue continuelle et les attaques également. La condamnation est facile, autant que de se faire une « opinion ». Cela multiplie les procès, les excuses publiques, et par extension les « dérapages » recensés dans les médias. Y en a-t-il aujourd’hui plus qu’avant ? Sont-ils plus insupportables aujourd’hui qu’avant ? Oui et non, ils sont plus médiatisés et beaucoup de gens passent sous le feu des projecteurs multipliant les risques. Pourtant, la société est bien plus tolérante qu’elle ne l’a jamais été, l’espace public fait preuve d’une grande avance par rapport aux mentalités de la population et nous devrions nous réjouir de la qualité et de la diversité de nos médias.


Tout ça pour dire que cette dictature de la bonne parole, bien correcte et mesurée qui prône l’ultratolérance universelle, est néfaste à notre liberté d’expression. Une société qui peut se moquer de tout et rire de tout est à mon sens beaucoup plus évoluée et sereine qu’une société qui musèle le moindre rire ou la moindre remarque « gênante » ou « maladroite ».

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